Dans mon pays, nous utilisons beaucoup les proverbes dans nos discussions. Hier une journaliste m’a demandé en fin d’interview de choisir un proverbe illustrant ma pensée.
J’ai d’abord réfléchi à un proverbe qui explique que pour bien comprendre l’autre, sa souffrance, son ressenti, tu dois d’abord être en capacité d’éprouver ce qu’il ou elle éprouve. Or ce sont d’autres formes de relation qui régissent nos interactions, sur la base de jeux de pouvoir, d’autorité, d’intimidation, voire d’humiliation.
Ce que j’éprouve en tant que migrant, c’est une profonde incompréhension et le fossé culturel, psychologique, social et économique, qui rend difficile certains échanges, avec ma conseillère au CADA par exemple.
J’étais Liban Douale avant d’arriver en Europe les mains et le ventre vides, je suis toujours Liban Douale et demain, avec ou sans statut de réfugié, je serai encore Liban Douale.
Et plus la situation devient oppressante, plus j’ai envie d’exercer mes droits, de faire entendre ma voix, parce qu’aujourd’hui j’ai la chance de vivre dans un pays où chacun peut exprimer cette liberté de parole et d’opinion.
En tant que jeune, j’ai une opinion, en tant que migrant, j’ai une opinion, en tant qu’africain devenu breton par la force des choses, j’ai une opinion, en tant que croyant éduqué à la tolérance, au respect, aux valeurs de l’islam et de ma culture soufi, j’ai une opinion. Or mon opinion, aussi légitime et basée sur des faits, sur une expérience, soit-elle, ne compte pas.
Liban Douale
Faire entendre ma voix, ce n’est pas qu’un droit, c’est aussi un devoir, car je crois à la possibilité, à la nécessité de sauver des vies, à l’urgence de changer le monde et ses règles.
Alors j’ai choisi pour cette journaliste un autre proverbe somalien, une autre image pour traduire le fond de ma pensée. Je lui ai parlé des termites et de la capacité collective de ces minuscules êtres vivants qui construisent d’aussi imposantes architectures de terre dans mon pays.
Dudun aboor baa dhisa
Proverbe somalien
Nous valons bien des termites et si nous étions plus que des survivants bloqués pendant plusieurs années par des procédures administratives que je respecte par ailleurs mais qui nous excluent en France du marché du travail, de toute formation qualifiante ou certifiante, de l’apprentissage, nous pourrions être une génération de bâtisseurs dans notre pays d’accueil.
Je ne veux pas travailler pour améliorer mon propre niveau de vie, gagner de l’argent, m’enrichir, Non. Je veux travailler parce que la France est un beau pays et qu’il m’offre la sécurité dont j’ai besoin à défaut d’avenir. Je veux travailler, car j’ai la chance d’être jeune et en bonne santé, capable de m’adapter à toutes les situations et d’apprendre aussi bien que n’importe quel jeune diplômé de France.
Toi, moi, nous ! Nous sommes l’expression vivante d’un tout et la question est pourquoi priver ce tout de notre potentiel, de notre volonté de participer à la construction de sociétés contemporaines qui sont obligées, qu’elles le veuillent ou non, à repenser leur fonctionnement et leur fragilité.
D’où je viens, terrorisme et guerre civile sont le fléau qui nous prive de toute possibilité de construire un monde meilleur pour nos filles et nos garçons. Ici, alors que la paix, la démocratie et le niveau d’éducation de la jeunesse permettraient de construire, mon statut de migrant me l’interdit.
Le slogan du confinement “#Restez chez vous “ s’applique à moi depuis janvier 2018, sans que je puisse comprendre pourquoi, sans que personne ne puisse me dire quand j’aurai le droit à mon tour de retrouver ma liberté de mouvement et d’action.